Le Billet d´Alain Fraval
Jouets de princes
Le 2 juillet 1903 naissait, sous le nom d´Alexandre de Danemark, Olaf de Suède. Un anniversaire à marquer d´un billet dans Ptitrain, en même temps que celui du tsarévitch Alexis Nikolaïevitch de Russie, bien que nul n´ignore qu´il est venu au monde le 12 août 1904.
Un important article a déjà été consacré à ces personnages, mais on l´a sans doute oublié, c´était le 25 juillet 1908, dans l´Illustration :


Sèvres, les Gobelins, Beauvais, et, aussi, nos industries d´art non officielles offrent au président de la République des ressources illimitées pour les cadeaux diplomatiques destinés aux “grandes personnes”. Quand il s´agit d´offrir un présent à un prince héritier n´ayant pas encore atteint l´âge de raison, le choix devient difficile pour peu que le souci de réussir à amuser l´enfant marche de pair avec l´obligation plus facile à réaliser de se montrer suffisamment somptueux. Notre sage président a confié à Mlle Fallières la mission délicate de chercher un jouet susceptible de réjouir S.A.R. le prince Olaf, héritier du trône de Norvège, âgé de trois ans.
Mlle Fallières s´est souvenue que les jouets mécaniques amusent toujours les enfants, et sur sa demande, M. Brianne, ingénieur parisien renommé dans la spécialité du jouet électrique, a construit un petit, ou plutôt un grand chemin de fer comme aucun de nous n´eût osé en rêver dans son enfance. L´écrin en maroquin qui le renferme mesure un peu plus d´un mètre cube ; le tout pèse une centaine de kilos.
Derrière un modèle réduit de la gare du Nord — celle où pourra débarquer le futur souverain quand il viendra à Paris — se développent environ 20 mètres de voie au long de laquelle on a pu semer, sans alourdir l´aspect d´ensemble, les accessoires indispensables : aiguilles, disques, maison de garde-barrière, gare de marchandises, pont, rivière, délicieux candélabres portant des lampes à arc rigoureusement copiés sur les candélabres municipaux et sur ceux qui éclairent les quais de la gare du Nord, etc.
Le train a été particulièrement soigné : “tout y est”, jusqu´au wagon-restaurant, avec dîneurs attablés, et au wagon-lit où sommeillent confortablement les poupées en voyage.


Tout cela se monte sur un tapis simulant la rue, les champs, le ballast, et mesurant 5 mètres de long sur 3 mètres de large ; une toile de fond, qui est censée représenter l´entrée du port de Dunkerque, complète l´illusion. Le courant d´une lampe électrique ordinaire suffit pour faire circuler le train et illuminer le réseau, sans avoir à craindre la moindre secousse dangereuse.
Cet ensemble constitue un jouet amusant, et Mlle Fallières fut si enthousiasmée qu´elle en a demandé un second exemplaire pour le tsarévitch.
Quelque choyés que puissent être les deux futurs souverains de Suède et de Russie, l´arrivée de ce grand chemin de fer fera peut-être époque dans leur vie d´enfant ; en tout cas, elle éveillera, de façon sympathique, dans leur jeune cerveau la notion du pays de France. Le protocole monarchique leur interdira sans doute d´appeler ce chemin de fer le train de “Monsieur Fallières” ; et, comme leur précepteur doit attendre un âge plus avancé pour expliquer à ces marmots royaux ce qu´est un président de la République, ce jouet sera pour eux “le train de Paris”, à moins qu´on ne les habitue provisoirement à l´appeler “le train du roi de France”.
 
Alain Fraval
Insectes, revue trimestrielle, Office pour les insectes et leur environnement
BP 30, 78041 Guyancourt cedex (France) — www.inra.fr/opie-insectes
Juillet 2008