Débarrassez-vous de vos domestiques !

Doc Toofoo a retrouvé pour vous cette description détaillée d´une installation gastronomico-ferrovipathe, qui défrayait la chronique en 1887 grâce à un riche Monsieur Menier (oui, c´est celui qui fabriquait mes chocolats !), et parue dans le magazine l´Indépendant du rail en 1977, en fac-similé sans indication de source (*). N´est-il pas tentant de faire chez soi la même chose, avec du L.G.B., une télécommande... et des surgelés Picard, aujourd´hui que les domestiques sont devenus denrée rare ?
(*) Magie du web : entre-temps nous est parvenue l´indication d´une source pour ces documents : voir notre Courrier des lecteurs !

M. Gaston Menier vient de réaliser dans sa salle à manger un ingénieux petit chemin de fer alimenté en permanence par des accumulateurs toujours chargés et prêts à fonctionner. Homme d´affaires important, Gaston Menier a combiné et fait construire cet ensemble que nous allons décrire et qui lui permet de faire facilement et rapidement tout le service d´un repas, sans qu´aucun domestique ne pénètre dans la salle à manger et ainsi pouvoir discuter d´affaires importantes sans être interrompu à tout moment.
Un train, passant et s´arrêtant devant

chaque convive, accomplit rapidement et discrètement, sous la direction du maître de la maison, toutes les manoeuvres essentielles d´un service ponctuel et bien ordonné.
Ce train qui va de l´office à la table et de la table à l´office pour apporter les plats, les remporter, apporter les assiettes, etc., comprend deux parties essentielles : la voie et le véhicule.
La voie se compose de quatre rails parallèles montés sur des planchettes en chêne ajustées bout à bout et en nombre proportionné à la longueur de la table, c´est-à-dire au nombre de convives.

Figure 1.

Les deux rails extérieurs reçoivent les roues du train, et en communication avec l´inducteur du moteur dynamo-électrique.
Les deux rails intérieurs sur lesquels roulent des petits galets de contact mettent la source électrique (une batterie de vingt accumulateurs dans l´espèce) en communication avec l´induit du moteur par l´intermédiaire d´un commutateur situé à droite du maître de la maison, permettant d´arrêter le train ou de changer le sens de sa marche par un simple changement de sens du courant dans l´induit.
Les planchettes en chêne sur lesquelles sont fixés les quatre rails reposent sur des supports placés de distance en distance et qui élèvent la voie à dix centimètres environ au-dessus du niveau de la nappe : le vide ainsi ménagé au-dessous de la voie est utilisé pour placer les objets usuels du service — couverts, salières, etc. Bien que les huit roues qui supportent le train forment deux bogies placés à ses extrémités, la longueur de la plate-forme étant de 78 centimètres, il serait difficile de faire décrire à ce système une demi-circonférence à l´extrémité de la table, car le rayon de cette courbe a à peine 40 à 45 centimètres. Le problème a été résolu en remplaçant la courbe par un aiguillage automatique. La voie partant de l´office où se dressent les plats sur le train traverse un

petit tunnel et arrive dans la salle à manger : le train rencontre un premier aiguillage où la voie se partage en deux parties qui passent respectivement à doite et à gauche devant chaque rangée de convives (dans la figure 1, les convives desservis par la voie de droite, ou voie d´arrivée, ont été supprimés pour dégager la table). À l´extrémité opposée, les deux voies se réunissent en une seule, de façon à former un chemin fermé.
Les deux aiguillages sont maintenus dans une position donnée par des ressorts, et la voie est toujours faite d´un même côté. Lorsque le train rencontre un aiguillage dans un sens, il le franchit en faisant lui-même l´aiguillage, mais lorsqu´il revient en arrière et rencontre l´aiguillage en pointe, il s´engage sur la seconde voie. Le train fait donc le tour de la table dans le sens inverse des aiguilles d´une montre, en allant de gauche à droite et de droite à gauche sur la voie de gauche ou voie d´arrière, celle devant laquelle sont les trois convives représentés figure 1.
 Il va sans dire que le train engagé sur l´une des voies desservant chacune des deux rangées, peut parcourir cette voie à volonté dans les deux sens, mais pour le faire passer d´une voie sur l´autre il doit nécessairement franchir l´aiguillage de droite, qui se trouve le plus éloigné de l´office.

Figure 2.

L´écartement de la voie est de 115 millimètres, largeur suffisante au matériel roulant sans encombrer la table.
Le train (fig. 2) se compose d´une plate-forme de 75 centimètres de longueur et de 22 centimètres de largeur pivotant sur deux bogies : l´un de ces bogies porte le moteur, le second bogie n´étant qu´un truck à deux essieux servant de support.
Le moteur dynamo-électrique actionnant le bogie moteur est constitué par une double bobine en T, genre Siemens ; l´emploi de deux bobines calées à angle droit évite les points morts et assure le démarrage dans toutes les positions. Les quatre roues de bogie sont couplées par des bielles pour augmenter l´adhérence et commandées par un engrenage qui réduit leur vitesse dans le rapport de 1 à 9. La dépense d´énergie est insignifiante car le courant ne dépasse pas 0,5 à 0,8 ampère, avec une force électromotrice de 36 volts. Le train pèse 7 kilogrammes à vide et peut porter

25 kilogrammes. En intercalant des résistances dans le circuit, on peut faire varier la vitesse normale entre 10 centimètres et un mètre par seconde. Le démarrage et l´arrêt sont très rapides et la simple inversion du courant permet de porter très vivement le train d´un point de la table à un autre.
C´est merveille de voir avec quelle docilité le train obéit instantanément aux ordres du maître de la maison faisant ainsi lui-même le service, par la manoeuvre habile d´un commutateur placé sous sa main. C´est là un raffinement de confort et une gracieuse politesse qui donne au repas un caractère tout particulier d´animation et d´intimité.
Cette installation offre aussi un nouvel exemple des mille services que peut rendre l´électricité dans la vie domestique ; nous devons remercier M. Gaston Menier de nous avoir offert l´occasion d´apprécier le charme et l´agrément de cette curieuse et intéressante application.


Fig. 3. -- Le bogie moteur.


NOTE DE LA RÉDACTION : Ptitrain vous avait narré comment vous débarrasser de vos patrons après les avoir exploités au maximum  ; aujourd´hui c´est au tour des employés de maison ! Qui va-t-il rester ? Qu´est-ce que Ptitrain nous prépare comme société du troisième millénaire ?.

Documents retrouvés par
Doc
Toofoo

décembre
200.

Ptitrain, l´e-magazine du train éclectique... — Directeur de la publication : Christophe Franchini.
Rédacteur en chef : Jean-Denis Rondinet. — Rév. 08/28/2004 0:52