Un réseau au-dessus de tout...
Les données du problème
Les chiffres du dernier recensement de l´Insee sont accablants... 6 173 981 personnes aimeraient jouer au p´tit train, mais elles n´ont “pas la place”. En moyenne pondérée, chaque ferrovipathe cache dans des boîtes et des tiroirs 8,87 locomotives, 26,11 wagons, 1,69 halle à marchandises... Tout cela dans l´espoir d´un jour meilleur (pour 19,3 % d´entre eux), de la retraite (21,97 %), d´une maison avec sous-sol intégral (46,12 %) ou de l´invention d´une nouvelle échelle au 1/10 000 (0,017 %)...
J´avais moi-même, jusqu´à ces derniers temps, souffert de ce manque d´espace, de cette collectionnite aiguë et de la frustration qui l´accompagne. Enfant, je punaisais mes voies Hornby-Acho sur les lames du parquet le samedi matin — avec démontage obligatoire le dimanche après-midi  ; jeune célibataire frustré (par le manque de place uniquement :—), je trouvai le moyen de caser un micro-réseau... sous mes fesses (voir mon article “Un réseau dans une banquette” dans Loco-Revue n° 430)  !
Une idée de ce que fut en 1979 un réseau “qu´on s´asseoit dessus” (en jaune, l´emplacement du réseau, un "L" de 2 m x 1,50 m)...
Comme l´idée n´est pas complètement obsolète et les besoins malheureusement toujours réels, je vous re-décrirai le principe dans un autre article...

Ci-dessous, le “siège” vu en coupe, position fermée, au repos...

(Dessins R. Le Guellec, © Loco-Revue 1981.)
Puis, un beau jour, me promenant dans un “magasin du père Noël” à Montréal, je tombai en arrêt devant un train, et un gros, du L.G.B., qui tournait dans la boutique, en occupant toute la surface disponible, mais sans prendre aucune place ! Ce train était tout simplement posé en hauteur, juste au-dessus des rayonnages dans lesquels la boutique présentait ses marchandises.
J´ai su plus tard que c´était une solution courante outre-Atlantique, surtout pour les grandes échelles (on vend tout le matériel nécessaire)...
... et qu´on voyait aussi ce genre de train circuler dans plusieurs restaurants... français, au-dessus de la tête de la clientèle. J´en ai même vu un — à vapeur vive — qui roulait sous le plafond tout en crachotant son eau bouillante sur les dîneurs d´un resta des Halles !...
Passons aux actes !
Rentré chez moi, j´inspectai la maison. Dans la chambre conjugale, le tiers des murs était occupé par des meubles à vêtements (des armoires Ikéa, un modèle ô combien courant !), un autre tiers par des rayonnages peu profonds destinés aux livres et aux cassettes vidéo ; le dernier tiers, c´étaient la porte et la fenêtre.
Après signature d´un accord diplomatique avec ma moitié (accord fondé sur le principe : “On ne verra rien d´en bas” ), je griffonnai mes premiers schémas.
Le dessus des armoires (2,50 m de long, 60 cm de profondeur, à 2,17 m du sol) se voyait affecté d´office à la gare et à sa petite “annexe traction” ; le tour de pièce, sur la dernière des étagères à livres (20 cm de large, agrandie et arrondie dans les angles), c´était la pleine voie ; un renfoncement au-dessus d´une cheminée s´offrait à l´établissement de la chocolaterie, usine vedette du réseau...
Attention : la partie surplombant le lit ne devait pas comporter trop d´appareils de voie, pour y éviter les déraillements (j´avais seulement promis “on ne verra rien”, mais il était sous-entendu qu´on ne prendrait pas non plus un train sur la figure !)...
La porte pouvait heureusement être enjambée par les voies : l´appartement étant du style bourgeois-ancien, la hauteur sous plafond était de 3 m, la hauteur de la porte environ 2,10 m, soit moins que les armoires. Mais j´aurais pu aussi, comme on le fait dans beaucoup de réseaux “tour de pièce” à hauteur “normale”, prévoir un genre de pont-levis...
Et la fenêtre ? Je décidai de placer un pont, à 40 cm des vitres pour pouvoir les entrouvrir et aérer, mais qu´on pourrait facilement le démonter pour le grand nettoyage des carreaux, etc.
Fig. 3. — Le pont (démontable) qui permet de franchir la fenêtre. La peinture du dessous et des chants du réseau n´est pas encore finie. Il faudra aussi que j´enlève un jour les codes-barres sur les supports d´étagères !
La pièce étant dès lors entièrement occupée, je mesurais (à mon échelle, le H0) un kilomètre deux cents de tour... Honnête, non ?
Inconvénients  :¬(
Il y a deux mauvais côtés :
D´abord, devoir jouer sur une échelle ! Un escabeau en aluminium, ultra-léger, vite plié vite déplié, fait l´affaire. On s´y habitue assez vite... Je vais le bricoler pour pouvoir m´y asseoir, comme un arbitre de tennis... Et, à chaque fois que je monte, je me persuade (on appelle ça la méthode Coué) que ça m´évite des heures perdues dans des clubs de gym !
Pour des raisons esthétiques, je ne veux pas compter sur le dessous du réseau pour faire circuler les câbles de commande et d´alimentation ; de ce problème, je vous reparlerai par ailleurs. Mais on pourrait facilement cacher le dessous du réseau avec de belles dalles pour faux plafonds.
Avantages  :¬)
En revanche, les avantages sont légion et, pour beaucoup, je ne les ai découverts qu´au fur et à mesure de la construction et de l´exploitation. Les “plus” sont liés à la fois à la hauteur du plan de roulement (eh, oui !) et au fait que le spectateur se trouve “dans” le cercle de rails et non à l´extérieur.
À deux mètres ou plus du sol, le réseau est “furtif”, c´est-à-dire normalement invisible pour l´observateur étranger. L´épouse bien sûr, les très petits enfants, les chiens, les visiteurs moqueurs (ceux qui prennent l´amateur de ptitrain pour un demeuré) — tous ces ennemis naturels du ferrovipathe sont tenus à l´écart !
Commodité supplémentaire : le réseau, pendant les mois (les années !) de construction, peut devenir et rester un foutoir de pots de peinture, fer à souder, scie sauteuse, fatras de polystyrène... sans que l´amateur en souffre visuellement, ni surtout ses cohabitants. On n´a rien à ranger, tout est toujours prêt à prendre — et, dès que vous avez dix minutes à perdre, vous pouvez monter ballaster un petit bout de voie, planter les géraniums du chef de gare... ou jouer !
Invisibles aussi le film en plastique très léger ou les feuilles de papier journal qui protégeront le réseau de la poussière lors des périodes d´inactivité (notez qu´une pièce d´habitation est par nature moins sale qu´un garage ou qu´un grenier ; de plus, la température et l´hygrométrie sont plus vivables, un bon point pour le bois et le carton).
L´invisibilité, c´est aussi la possibilité d´annexer plusieurs pièces : pourquoi ne pas franchir un mur pour établir des voies de garage ou des coulisses au-dessus des meubles du living-room (une vitrine au dernier étage de la bibliothèque du salon constituerait un superbe diorama, et fonctionnel !), voire des toilettes (sur une idée de Clive Lamming, “Le réseau du petit coin”, toujours dans Loco-Revue), ou de la cuisine (dans ce dernier cas, l´extension devra être rendue étanche aux graisses et vapeurs)...
Le réseau en hauteur, c´est aussi la garantie que le spectateur n´a pas une vue d´avion, mais reste sur le quai, ou sur un pont au maximum. Avez-vous remarqué combien les modules montent, montent, dans les expositions ? Certains sont maintenant si hauts (à hauteur d´oeil d´un adulte) qu´on doit prévoir des marches pour les enfants !
Quand on est sur le quai de la gare, on ne remarque plus les courbes serrées, on ne voit plus se tortiller nos trains. On admire mieux les détails du p´tit train : scruter des bielles, c´est bien mieux que d´admirer des prairies en hélicoptère ! Bien sûr, l´envers de la médaille, c´est qu´il faudra soigner le ballastage...
On n´a plus à trop se préoccuper de perspective pour le fond du décor : d´où je suis, quand j´attends l´omnibus de 8 h 52 sur le quai de ma gare, je vois les immeubles de ma banlieue qui surplombent la tranchée, qui me surplombent, et au-dessus d´eux le ciel bleu — pas toute une ville reproduite en trompe-l´oeil avec plus ou moins de succès...
Quand on est à l´intérieur du cercle de rails (l´inévitable cercle auquel se résument plus ou moins tous nos réseaux), les wagons et les voitures se resserrent dans les courbes au lieu de s´écarter, même avec de vieux attelages sans élongation !
Conclusion... provisoire
Partez, mètre en main, à la redécouverte de votre maison !... Qui sait si vous ne trouverez pas, au fond du couloir à gauche, les quelques hectares nécessaires au défoulement des trésors à bielles et à bogies qui dorment tristement dans leurs belles boîtes ?
Pour tous commentaires, ou si vous avez déjà chez vous un tel réseau, n´hésitez pas à m´écrire à Ptitrain !
Prochain article : Dites “oui” aux patrons !


N.-B. 1. — Les statistiques de l´Insee citées ci-dessus sont purement inventées.
N.-B. 2. — J´ai l´air comme ça de dire du mal des épouses de ferrovipathes, mais, sans la mienne, le daltonien que je suis peindrait ses tuiles en vert et ses trottoirs en mauve ! Merci donc, Madame JiDé, merci pour tout !
Jidé

Mai 1999.
Ptitrain, l´e-magazine du train éclectique — Directeur de la publication : Christophe Franchini.
Rédacteur en chef : Jean-Denis Rondinet. — Rév. page Dream MX 29-02-2004 0:37