Question. — Modélisme
et polices de caractères, quel peut bien être le rapport ?
Nous sommes amenés à profiter des possibilités immenses
de nos ordinateurs et des imprimantes qui y sont reliées, pour imprimer — à notre échelle —
des affiches, des enseignes de magasins, des panneaux publicitaires, des pancartes signalétiques, des noms d´usines, etc.
Question. — Mais ça fait des
dizaines d´années qu´on fait ça, bien avant les P.C. !
Bien sûr, “avant”, il y avait les lettres-transfert,
les décalcos, les récupérations de textes découpés dans les journaux...
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Un bon exemple d´utilisation des lettres-transfert : la fabrication de la cheminée de la boulonnerie
L. Wiss, par Jacques Le Plat dans Bons Baisers de Ferbach. (Photo © Pro Rail International.) |
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Mais l´éventail des possibilités est bien plus vaste
aujourd´hui, presque infini. Et le risque de mal faire est multiplié par la largeur de cet éventail.
(À l´époque-reine des lettres-transfert, du Letraset, vers 1970, je voyais tant d´horreurs faites
avec ce procédé que je militais pour qu´il ne soit plus en vente libre, pas plus que les armes à
feu ou les stupéfiants. Au vu de pages typographiquement immondes publiées par l´Indépendant
du rail, j´avais même été voir M. Lavignes pour lui dire : “Votre imprimeur
se fout de votre gueule !” Le brave homme m´avait répondu : “Mais je fais tout moi-même
grâce au Letraset...”)
Question. — Et quels sont ces “risques
de mal faire” qui te font tant souffrir ?
C´est de sombrer, soit dans l´erreur
chronologique, soit dans le mauvais goût. Par exemple, utiliser pour un réseau
époque III un caractère qui a été inventé en 1986... Ou composer l´enseigne de
sa boulangerie parisienne d´aujourd´hui avec une police typique de l´Occupation allemande :

Et je n´ai pas trouvé l´exemple macabre ci-dessus
sur un réseau modèle, mais sur une boulangerie réelle, actuelle, de mon proche voisinage ! Un
risque aussi, c´est de passer à côté de magnifiques travaux de typographie
qui ajouteraient une incomparable touche d´atmosphère à nos décors. Comparez la première
ligne ci-dessous avec la seconde...

Le caractère <Mistral> du dessus (pris comme un simple
exemple) est un travail typé, dû à un artiste (Roger Excoffon, 1910-1983), c´est une production
bien d´chez nous (fonderie Olive à Marseille), datée (l´arrivée, que dis-je, l´invasion
de cette police dans les imprimeries remonte à 1953), tout à fait caractéristique du paysage français
d´après-guerre. Ce “monsieur“ de la typo (qui a bossé aussi pour la S.N.C.F.) est également
l´inventeur des polices <Banco> ou <Antique Olive> qui sont des “musts”
aussi sur les devantures de nos boutiques de 1950 à 1990... L´autre, celle du bas, est une vulgaire police
de machine à écrire dont même pas un chiffonnier n´aurait voulu pour sa réclame.
Question. — Et donc Ptitrain
va tout nous dire sur la police et tout nous apprendre ?
Non, et ce pour moult raisons. Primo,
le bon goût peut recevoir des coups de pouce mais il doit préexister à notre amour du p´tit train
(sinon, on est drôlement mal barré)... Pour reprendre la boulonnerie de notre ami Jack the Dish, qui s´avoue
pourtant méconnaisseur de la science typographique, le simple fait d´observer intelligemment la réalité
environnante lui évitera toute faute grave (photo © Pro Rail
International). Letraset, oui, mais maîtrisé : lisibilité, plausibilité, orthographe
respectée, patine...


Secondo, le sujet est trop vaste : “tout
dire sur la typo” est aussi idiot que “tout dire sur le fromage”...
Tertio, Ptitrain
soulève le problème mais vous invite à participer, vous les lecteurs. J´ai mes goûs, j´aime
le <Bodoni> comme j´aime la vapeur et je parle donc
peu de diesel et de <Stencil>, à vous de débusquer les beaux caractères d´atmosphère
et de venir nous en parler...

Question. — Je viens de chercher la police <Mistral>
sur Internet et on me demande 39 dollars pour me la procurer !
Les polices de caractères, vues sur le plan informatique,
offrent trois visages :
— l´un professionnel, des créations
de haute qualité, fiables, complètes (tous les accents de toutes les langues), mais difficiles à manipuler
et très chères (par exemple, la collection Linotype coûte 8910 euros pour 1900 polices) ; c´est
le domaine des fondeurs traditionnels comme, ITC, Monotype, URW, Adobe, etc. ;
— un deuxième monde, libre, “freeware”,
exaltant, mais à regarder de près avant utilisation (l´ordure y jouxte le sublime, comme pour les jeux,
les utilitaires ou les collections d´icônes) ;
— un troisième univers, hélas, celui du piratage
(piratage dans son acception la plus crapoteuse et non version Robin des Bois ou peer to peer) fait que vos recherches
sur Internet avec les mots-clés <police de caractères> et autres <free fonts>
vous entraîneront sur des pages aussi lamentables que celles sur lesquelles échouent ceux qui cherchent <sexe
gratuit>. Tâchez de vous promener sur le Net en anonyme et ne laissez pas votre adresse e-mail à des
gens comme ça, qui vous spammeront ensuite sans cesse.
Résumons un bon plan :
1° pour vous cultiver typographiquement, promenez-vous sur les sites
pro.

L´adresse web “culturelle”
la plus intéressante (mais en anglais), www.fonts.com :
c´est la page de Monotype, un fabricant centenaire de caractères, qui renvoie gracieusement vers
ses concurrents et aussi vers du gratuit.
En français, le site majeur s'appelle DaFont.TheFontPool recense
très clairement des milliers de polices pro, et vous autorise à saisir vos propres
exemples de caractères
(tapez par exemple, pour voir s´il y a des accents : "ABCD abcd 1234 éçàï
ÉÇÀÏ"). MyFonts présente
un catalogue intéressant. HighFonts, SearchFreeFonts
sont aussi des points de départ possibles. Vous trouverez en route des tas de
choses en français.
Et Google permet de trouver bio et oeuvres des grands
typographes, Cassandre, Auriol, Bodoni... |
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2° Puis cherchez dans le monde libre les plus proches équivalents.
Pour vous guider, sachez qu´un auteur bénévole qui s´est “inspiré” de la police
<Mistral> donnera souvent à ses imitations les noms <Provence> ou <Mistress>
ou dans ce genre ... Si la police s´appelle
du même nom que la vraie, attention, c´est peut-être la vraie, mais et gratuite et donc pirate —
pas de danger informatique connu (virus...) mais ça peut être considéré comme grave en entreprise
et surtout faire planter les imprimantes faisant du travail sérieux et officiel. Ne faites jamais cohabiter sur
vos machines plusieurs caractères ayant les mêmes noms. Désinstallez l´une avant d´installer
l´autre.
Question. — Et les normes ? Truetype, PostScript,
et je ne sais quoi encore... !
On peut utiliser les yeux fermés les normes Truetype,
courantes et maîtrisées sur les microordinateurs personnels. Les PostScript dites
aussi Type I sont beaucoup plus complexes à utiliser et sont presque toujours
commerciales et très chères. N´installez jamais en vue d´impression de polices dites bitmap
ou vector ou raster. La norme Opentype, plus récente, qui mixe les avantages
de ses prédécesseuses, est très conseillée. La différence entre toutes ces normes est
marquée par les suffixes des fichiers (<mistral.ttf> est une police TrueType, <RDB_____.PFM>
est un des quatre noms d´une PostScript), <lithos.otf> est un Opentype et par les icônes
(une icône en forme de lettre O = OpenType, A = PostScript, TT = Truetype). On ne peut pas utiliser
les mêmes polices sur Mac ou Windows ou Linux (il faut des logiciels de traduction).
Question. — Des fois, il manque des accents
aigus et même les minuscules...!
On trouve sur Internet ou sur les CD-ROM commerciaux attrape-gogos
du genre “9999 polices pour 9 euros” des créations d´une nullité à faire peur.
Un gugusse par exemple choisit de pirater <Arial> et modifie tous les chiffres pour qu´ils illustrent
la figure de Darth Vador ou le logo de Coca-Cola ! Ou bien un autre illuminé modifie tous les espaces d´une
police pour y faire figurer un slogan politique ! Un wargamer ou un sataniste écrit une police de signes
cabalistiques :

Ou encore un crétin commence à écrire sa propre police,
il dessine le A, le B, le C, se rend compte que c´est fatiguant et s´arrête, mais publie quand même
sous un nom ronflant sa création débile... À nous de nous débrouiller, d´éplucher
Internet et les CD à la recherche de la pépite d´or — bien sûr vous trouverez peut-être
aussi quelque chose qui n´a rien à voir avec le modélisme mais qui pourra vous servir dans la vraie
vie.
Question. — En un mot : tout ça est drôlement
compliqué !
C´est vrai, ça n´est pas un long fleuve tranquille,
mais c´est amusant comme d´aller à la pêche, et avec l´aide de Ptitrain,
les problèmes seront quand même dégrossis... À suivre donc, si vous le voulez bien ?
Question. — Une dernière question pour
aujourd´hui, promis... Voilà, je n´y connais pas grand-chose et je ne vois pas de différences
entre les caractères <Arial>, <Helvetica>, <Swiss>, <Frutiger>... Tout ça
me paraît similaire .

Ça l´est ! Ou quasiment... Le piratage de
polices informatisées est un sport récent, mais les magouilles commerciales sont vieilles comme le monde.
Ainsi, Adrian Frutiger (né en 1928),
qui travailla pour l´imprimerie célèbre Deberny & Peignot, dessina en 1952 la première police
de cette famille (l´<Univers>) qui eut tant de succès qu´elle inspira tous
les concurrents de l´époque, sous divers noms (ceux que vous citez mais aussi <Permanent>, <Haas>,
<Caravelle>...). Le presque dernier rejeton était l´<Helvetica> qu´on trouvait
sur toutes les premières imprimantes à laser, et il fut lui-même cloné par le fabricant d´ordinateurs
le plus intelligent du monde, puis par le fabricant de logiciels le plus riche du monde. <Arial> et <Geneva>
seraient nés ainsi — à ce qu´on m´a dit, mais mes avocats n´en donneraient pas leur
tête à couper .
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